Site de recherches sur le général Andoche Junot (1771-1813), duc d'Abrantès, Premier aide de camp de Napoléon. Campagne Egypte, Portugal, Espagne, Russie. Famille de Laure de la duchesse d'Abrantès. Biographie par Sylvain Dubief. Photos Bussy-le-Grand et Montbard.
28 Février 2019
L'année 1806 fut certainement l'année la plus belle et la plus heureuse de Jean Andoche Junot et de son épouse Laure Permon.
Après avoir quitté un poste d'ambassadeur à Lisbonne qui ne lui plaisait guère et avoir rejoint Napoléon sur le champ de bataille d'Austerlitz où il le seconda comme aide de camp, Napoléon décida de le nommer gouverneur général des Etats de Parme et de Plaisance, le 19 janvier 1806, afin qu’il réprime une révolte des paysans apennins. Décision d'autant plus judicieuse qu'il lui avait accordé le 15 floréal an XII (5 mai 1804) le domaine de Cornochio, situé dans les états de Parme .
Cette région menaçait encore de révolte.
Le général Junot devait défendre ses intérêts, ce qui était logique et légitime ; il y remplacerait l'administrateur général en titre, monsieur Moreau de Saint-Méry, homme trop passif pour la situation .
Considérant décidément cette mission ingrate comme un nouvel exil, Junot chargea sa femme, qui était revenue à Paris, de demander à l'Empereur s'il était encore utile qu'elle partit le rejoindre à Parme: « C'était, raconta-t-elle, une petite ruse pour savoir s'il demeurerait longtemps en Italie ». Napoléon lui répliqua par des paroles évasives ; c'était tout ce qu'elle voulait savoir : elle ne partirait pas maintenant et passerait cette fin d'hiver encore à Paris.
Au printemps 1806, la santé de ses filles devint pour elle un prétexte à de nouveaux délais.
De son côté, le gouverneur de Parme s'impatientait.
Enfin, après avoir demandé la permission de rentrer à Paris début juin, il reçut une réponse de l’Empereur qui la lui accordait . Rapidement, il monta dans une voiture pour la capitale... Il allait revoir sa jeune épouse qu'il avait quittée au Portugal près de neuf mois auparavant et qui avait pris sa fonction auprès de Madame Mère.
A son grand étonnement, son retour fut presque triomphal !
L'Empereur le nomma, par le décret du 19 Juillet 1806, Gouverneur de Paris et également commandant de la première division militaire.
Le gouvernement de Paris, encore plus que l’ancien commandement de la place militaire, nécessitait un homme de grande confiance. L'Empereur prévoyait déjà de nouvelles campagnes, et le gouverneur serait, en son absence, le vrai maitre de la capitale, ayant sous ses ordres les autorités civiles et militaires.
Pourquoi Junot était-il à nouveau en grâce ? Il ne devait cette nomination ni à son action à Parme, ni à ses excès d’humeur. Napoléon avait d’abord songé à laisser Junot un à deux ans en Italie, mais les guerres qui s’annonçaient inévitables seraient longues et lointaines ; Murat, précédant gouverneur de Paris, lui serait plus utile en soldat : il fallait nommer quelqu’un d’autre de totalement fiable à la tête de la capitale de l’Empire grandissant.
Il avait choisi Junot pour sa complète soumission, son intégrité et, surtout, pour son indestructible fidélité à sa personne: il pourrait le laisser à la tête de la capitale durant ses longues absences, sans craindre une action contre lui... Junot l'aimait trop pour le desservir.
Laure dut alors espacer ses rencontres avec un jeune officier de cavalerie... un certain Alexandre de Girardin .
Le couple fit comme si de rien n'était et profita pleinement de sa nouvelle situation... Il éblouit à nouveau la capitale entière et se fut certainement ses plus belles années.
Il faut préciser que le gouverneur avait les moyens de sa vanité et d'étaler son faste :
Il touchait du Ministère de la guerre 60.000 francs comme gouverneur de Paris, 10.000 de frais de logement, 15.000 d'indemnité de fourrage, 144.000 de frais de bureaux, 22.000 comme colonel général des hussards, 12.000 pour traitement extraordinaire de général commandant la première division militaire, soit un total de 263.000 francs.
Lorsque l'Empereur apprit le montant extravagant de ce traitement, en septembre 1807, il accusa le ministre de la Guerre, le général Clarke de faiblesse et décida de le ramener à son salaire de Gouverneur de Paris avec 6.000 francs de frais de bureaux et suppression des soi-disant frais de logement et de fourrage : « Ce qui n'empêche qu'en 1811 Junot touche encore 6.000 francs par mois de frais extraordinaires, 5.000 comme gouverneur de Paris et 1.000 comme colonel général des hussards. Son titre de duc lui vaut une dotation de 5.882 francs 05 de rente 5% consolidé sur le Grand Livre. Après 1804, l'Empereur lui accorda une pension de 30.000 francs sur sa cassette particulière. Il lui allouera encore 600.000 francs lorsque Junot gouvernera le Portugal. Bien entendu, Junot touchait encore la somme afférente à son grade de Grand-Croix de la Légion d'Honneur. De plus, il possédait des majorats en Westphalie, en Prusse, en Hanovre, en Illyrie et en Italie ».
Le général Thiébault ajoute même à ces revenus 300.000 francs sur les maisons de jeux, qu’il avait déjà touchés lorsqu’il était commandant de la place de Paris.
De plus, le nouveau gouverneur de Paris ressemblait comme deux gouttes d'eau à l'ancien commandant de Paris: il n'avait tiré aucune leçon de sa première disgrâce et recommençait à dépenser, à jouer... « et qui, dans une année où il avait touché 1.450.000 francs, trouva le moyen d'en dépenser davantage. Son luxe dépassait toute mesure, et, avec son luxe, sa fièvre du jeu. On cite une partie de bouillotte à 100.000 francs de cave et 500 francs le jeton, partie sans rentrant ; bien entendu, dans laquelle il n'y eut que 30.000 francs perdus, mais qui donne l'idée de l'importance du jeu ».
Junot se plaisait dans cette vie de grandeur, il avait l’impression d’être né pour ça... Il n’avait pas de légitime sang bleu, comme on l’entendait sous l’ancien régime, mais il en avait un autre, plus pure, plus mérité. Comme il se plaisait à le répéter, il serait à l’origine d’une nouvelle branche de l’aristocratie militaire, d’où son expression préférée : « Nous sommes les ancêtres »! Devise qu’il accolera bientôt à ses armes de duc.
« Je tiens », avait dangereusement dit Napoléon, « à ce que le ménage du Gouverneur de Paris tienne un grand étal ».
Il n'en fallait pas plus pour l'encourager encore plus à la dépense et la démesure: rien n'était trop beau, trop cher, trop luxueux. Le général adorait les chevaux: maintenant, il en possédait des dizaines. Il ne voyageait qu'à la vitesse de l'Empereur et possédait ses propres relais.
Il engagea également un nombre impressionnant de domestiques, depuis le Suisse empanaché qui frappait trois coups de canne à l'arrivée de chaque visiteur jusqu'aux laquais, en passant par les maîtres d'hôtel, les valets de pied et les femmes de chambre. Il leur fit arborer pour la première fois, à Longchamp, une livrée verte avec le collet et les parements amarante; on jasa, car ces couleurs avaient été celles du comte d'Artois.
Junot, de par sa charge, se devait de recevoir tous les jours. Il avait fait construire dans le jardin de son hôtel une longue galerie où il donnait tous les quinze jours un grand dîner de quatre-vingts couverts ; dîner suivi d'une réception ouverte pour les officiers. Il était bien sûr toujours assisté par son adorable épouse, Laure, dont la gaité et l'esprit séduisait tous les invités.
Chez lui, la table était prestigieuse.
Il avait réussi à embaucher, à prix d'or, le fameux cuisinier Réchaud, élève du célèbre Carême.
Pourtant, à en croire sa femme, Junot n'était pas un fin gourmet. Il dévorait littéralement la nourriture plutôt qu'il ne la mangeait.
Les convives étaient de marques : on rencontrait à sa table l'impressionnant Murat, l'intègre Fontanes , le baron de Cussy, Grimod de la Reynière , Cambacérès le gourmet, le comte de Montrond et même, de temps en temps, l’incernable Talleyrand ... Presque le tout Paris impérial…