Site de recherches sur le général Andoche Junot (1771-1813), duc d'Abrantès, Premier aide de camp de Napoléon. Campagne Egypte, Portugal, Espagne, Russie. Famille de Laure de la duchesse d'Abrantès. Biographie par Sylvain Dubief. Photos Bussy-le-Grand et Montbard.
8 Mars 2019
Comme il avait décidé de reprendre le vieux projet, abandonné en 1797, de tenter un débarquement en Angleterre, la nouvelle affectation était toute trouvée.
En décembre 1803, Junot reçut sa nomination à Arras pour organiser le corps des Grenadiers de la Réserve, et, Murat la sienne à sa place à la tête de la place de Paris , mais avec cette fois le titre, ressuscité pour lui, de Gouverneur.
Abasourdi, mais pas surpris, Andoche accusa le coup en soldat discipliné, comme il aurait toujours dû le rester. Ce changement n’était pas une promotion ; le message était clair : montre ce que tu sais faire et arrête ta vie dissolue. Un coup de plat de sabre n’aurait pas fait plus d’effet !
La municipalité d’Arras, à l’instar de celle de Paris, tînt à honorer ses nouveaux hôtes en offrant une fête des plus brillantes. Une délibération du conseil municipale du 7 février 1804 décida : « Le 18 pluviôse, le Conseil municipal de la ville d’Arras, convoqué extraordinairement par le Maire et présidé par lui ; considérant que la ville d’Arras doit s’empresser de témoigner par les moyens qui sont en son pouvoir la satisfaction qu’elle éprouve de posséder dans ses murs une armée aussi recommandable par sa bravoure et les talents du général qui la commande, que par l’exactitude de sa discipline ; a unanimement arrêté qu’une fête sera offerte à Mme Junot, épouse du général de division commandant les grenadiers de la réserve ».
Le samedi 11 février, comme promis, un grand bal, animé par seize musiciens, fut donné à la mairie où la bourgeoisie locale put rencontrer et faire connaissance avec les nouveaux officiers de la division.
Les Junot emménagèrent dans un splendide hôtel particulier, ancienne demeure des princes de Condé. Laure y reprit immédiatement ce qu’elle faisait si bien à Paris : réaménager luxueusement la maison.
Les troupes, dont Junot prenait la tête, étaient composées essentiellement de « vieilles moustaches », d’anciens soldats qui avaient souffert pendant les campagnes de la Révolution et du Directoire. Ils étaient rudes, mais passionnés ; soumis à la Nation et à son chef, mais quelque peu indisciplinés. Le rôle du général était d’en faire des troupes professionnelles, fraîches et impeccables ; prêtes à envahir, au pas charge, la Grande-Bretagne. La réussite de cette transformation reposait entre ses mains, il fallait qu’en quelques semaines il y réussisse pour que Napoléon oublie, ou du moins pardonne, ses derniers écarts.
Il s’attela à cette tâche sans compter son temps, ni sa fatigue, inspectant sans cesse, passant des revues, s’attachant aux plus petits détails et ne laissant rien passer.
Bonaparte ne le lâchait pas non plus ; depuis Paris, il veillait à la bonne exécution de ses ordres, et, malgré d’autres préoccupations bien plus accaparantes, il demandait à Andoche de l’informer constamment de l’état de ses troupes.
Le 28 floréal an XII (18 mai 1804), le Tribunat entérina la prise du pouvoir du Premier Consul : « Le gouvernement de la République est confié à un empereur qui prend le titre de Empereur des Français ».
Heureusement, Junot avait bien enterré ses dernières velléités républicaines et était uniquement préoccupé à retrouver sa place dans l’estime de Napoléon. Il montrait d’ailleurs tant de zèle dans la tâche qu’on lui avait confiée, que certains de ses subordonnés finirent par s’en plaindre. Le nouvel empereur lui envoya une missive pour qu’il s’adoucisse un peu : « Il m’est revenu quelques plaintes sur la division. Vous devez vous étudier à ne pas mécontenter les chefs de corps et de bataillon, n’en pas exiger trop ; il ne faut pas se fâcher quand ils ne répondent pas à votre attente, puisque vous êtes là pour les instruire ». Le général des Grenadiers, piquer dans son orgueil, rétorqua qu’il n’accomplissait que son devoir, d’une façon qu’il croyait irréprochable, mais que s’il ne convenait pas à ce poste, son désir le plus cher serait de redevenir l’aide de camp de Sa Majesté . En effet, bien qu’officiellement toujours le Premier aide de camp de Napoléon, il n’avait plus servit réellement dans cette fonction depuis son retour d’Egypte.
Laure, de son côté, s’occupait d’organiser de luxuriantes réceptions afin d’oublier, dans les flanelles et les airs de musique à la mode, la grise quiétude de cette province du nord.
L’Empereur quitta Boulogne le 21 août pour rejoindre le Rhin, il en profita pour passer plusieurs revues en chemin : le jour même il inspecta la division du général Loison, puis, passant Etaples et Saint-Omer, il visita les divisions de cavaleries de réserves.
Napoléon allait arriver d’un instant à l’autre pour constater et juger les résultats de son travail.
Le 11 fructidor an XII (29 août 1804), la ville était endimanchée et respirait un air de fête, avec un accent de solennité. L’Empereur fit son entrée à deux heures de l’après-midi, entre une garde d’honneur à cheval. La garde nationale lui présenta les armes. A l’entrée du faubourg de Sainte-Catherine, la municipalité escortée par la milice bourgeoise, tambours et musique en tête, vint à sa rencontre pour le complimenter tandis que le canon et le son des cloches se mêlaient aux acclamations de la foule. Le cortège se dirigea ensuite vers la préfecture où avait été installé le quartier général. A la nuit, la ville s’illumina de mille feux…
Le lendemain matin était le jugement fatidique pour Junot. Napoléon arriva à cheval dans la plaine de Dainville, où il passa une revue minutieuse des grenadiers. « Il n’y avait pas de plus belles troupes, pour le choix et la beauté des hommes. Elle surpassait de beaucoup la garde consulaire elle-même, devenue garde impériale. Elle comprenait dix bataillons de 800 hommes chacun. (…) Aguerris par de nombreuses campagnes, manœuvrant avec une précision sans pareille, ils étaient animés de cet orgueil qui fait la force des corps d’élite, et présentaient une division d’environ 8 000 hommes, auxquels aucune troupe européenne n’aurait pu résister, fut elle double ou triple en nombre ».
Napoléon fut cordial. Le résultat des huit mois de formation était éclatant : Junot avait prouvé qu’il conservait ses compétences militaires et que l’Empereur pouvait toujours compter sur lui.